Gael Rouge : quel est le rôle du réalisateur ?
Laurent Brémond : le réalisateur est un chef d’orchestre, la personne à la base du projet. Sur un tournage, doit être capable de remplacer n’importe quel technicien. Il doit maîtriser les différents aspects techniques de la réalisation. Mais pour se prétendre réellement réalisateur, il doit surtout emmagasiner beaucoup de pratiques, connaître toutes les ficelles du métier.
GR : Comment préparez-vous le tournage d’une interview d’un documentaire ?
LB : Un tournage fonctionne s’il y a une bonne écriture à la base. On doit avant tout faire un repérage, aller sur place, rencontrer les gens que l’on va filmer avant de tourner pour constituer un lien avec ces personnes. Il faut ensuite se mettre à l’écriture pour bien poser à plat des informations collectées pendant le repérage, poser une intention de réalisation et de traitement filmique.
De toute façon, il faut toujours faire un repérage. Même dans les sujets que je contournait pour Canal Plus quotidiennement à raison de deux sujets par jour, si je n’avais pas le temps de faire un repérage, je rentrer en contact avec mon prochain interlocuteur par téléphone, j’ai commencé à créer le lien en essayant aussi de savoir s’il était possible d’obtenir des photos des lieux pour me permettre de voir un peu les décors. Il faut imaginer les futurs lieux de tournage et donc obtenir le maximum d’infos avant de filmer.
Comment venez-vous vos interviews ?
LB : Quand j’interviewe quelqu’un, je dois savoir ce que je veux entendre. Cette personne m’a déjà parlé du sujet pendant le repérage et il faut qu’elle m’en reparle, sans la forcer. On peut poser cinq questions pour avoir la réponse que l’on recherche. Au montage, il y a n’y en a qu’une seule qui sera conservée, mais toutes les autres ont un sens et vont amener cette réponse. Plus la thématique est lourde, plus il faut y arriver doucement, laisser du blanc dans ses interviews.
Les questions que je vais poser vont amener tout de suite une réponse, Il faudra ensuite beaucoup de montage, au mot, à la seconde ou à l’intonation près. Mais au moment de tourner je sais tout de suite si la réponse est dans le format, dans la durée que j’attends. Je sais si la phrase résume suffisamment toutes les informations que je veux faire passer ou si elle bâille un peu, si elle est trop longue. Je m’applique toujours à être précis avec les personnes interviewées pour leur faire comprendre qu’il n’y a pas de problème, qui peuvent avoir une hésitation ou réfléchir. Je construis en douceur une vraie relation avec eux.
Au bout d’un moment, on sait ce qu’il y a dans la boîte. Je travaille au casque donc je suis encore plus près des sons, les dialogues se construisent dans ma tête. Si j’ai un doute, je double une partie, je fais reprendre, je vais poser d’autres questions pour enrichir le montage. Ce qu’il ne faut pas faire, c’est arrêter la prise brutalement, mais continuer à tourner, qu’il y ait un peu d’humain, pour mettre un peu de chaleur. Il faut toujours en mettre dans un tournage. Il faut faire attention à ne jamais trop acquiescer devant les gens, ni chevaucher la fin de la prise par une démonstration de satisfaction, qu’elle soit verbale ou avec les yeux. La personne pourrait sentir que vous êtes content de ce qu’elle vient de dire et vous regarderait dans les yeux pour savoir si « C’est bien ? », ça pourrait couper la prise. Je baise toujours les yeux à la fin des réponses quand je sens qu’elles sont bonnes, je laisse passer trois secondes et après qu’ils ont répondu et là j’applaudis. Il faut toujours laisser du blanc pour le monteur. Ma liberté de réalisateur c’est le temps passé avec la personne que j’interviewe, qui fait qu’à la fin, quand on voit mes images, on s’en qu’il s’est passé quelque chose entre elle et moi.
Quelle place doit prendre l’intervieweur à l’image ?
LB : Les questions in de l’intervieweur, les commentaires, sont inutiles selon moi si l’on comprend l’image. Cela enlève de l’importance au sujet quand le reporters est trop présent et diminue l’intensité de ce qu’on a avec le personnage que l’on filme.
Quelle est la part du travail visuel ?
LB : Dans le cadre d’une interview, il faut faire en sorte qu’il n’y ait jamais que des images d’interviews. Dans un projet de tournage, quand on a une personne à interviewer, il faut aussi savoir comment on va l’illustrer. Il faut pouvoir sortir de ses propos pour aérer son film afin d’éviter l’accumulation de portraits. Il faut toujours travailler la partie visuelle pour qu’un sujet tienne le coup.
Comment choisissez-vous votre cadre, votre décor ?
LB : Le décor doit être lié au personnage et au sujet. Il faut trouver des liens entre le cadre et le propos, entre l’image et le son, sans que cette cohésion ne soit téléphoné. Il faut aussi penser à illustrer les propos qui vont suivre au montage.
Imaginons que l’on interviewe un personnage dans un parc que l’on voit au second plan. Pendant l’interview, il y a un bruit de voiture qui démarre, mais qui n’est pas dans le cadre. Il va chevaucher la voix, ça ne va pas. Il faut prévoir avant de tourner qu’une voiture va peut-être démarrer, donc choisir un cadre plus large pour l’avoir passer à l’image. Et à partir du moment où l’on voit la voiture passer, on a bien une cohésion image/son. Il faut toujours préparer son interview, bien choisir l’endroit où l’on film en pensant que tout ce qui peut interférer.
Le hors champ, l’imprévu, peut entrer dans le cadre, mais il faut l’anticiper, le faire entrer calmement comme s’il avait été pensé. Il m’est souvent arrivé de saisir des scènes que je n’avais pas mise en scène, que je n’aurais jamais pu imaginer au script. Quand le hors champ rentre dans le in, c’est la magie qui opère, mais il faut arriver à le faire avec douceur, comme si ça avait été pensé à l’écriture.
Comment gérer l’imprévu qui peut remettre en cause son tournage ?
LB : Durant une nuit en Louisiane, j’ai dû changer tout mon séquencier, parce que les séquences que j’avais prévues étaient toutes en train de tomber à l’eau les unes après les autres. J’ai essayé de retrouver des cohésions en changeant l’ordre des chapitres à cause d’un ouragan. Mais en dehors des catastrophes naturelles, si l’on a un bon repérage, une bonne validation avant de commencer à tourner, il n’y a pas de raison pour que ça se passe mal. C’est le travail en amont qui est important. Il faut prévoir toutes les hypothèses et rester très vigilant avoir toujours un plan B en cas de changement de programme. Quand cela arrive, il y a toujours une solution. Il faut alors s’isoler et ne pas se laisser impressionner. Trouver une idée, c’est le rôle du réalisateur.
Comment prenez-vous en compte le montage au moment de filmer ?
LB : Quand on tourne, on monte. Quand je tourne, je fais souvent l’exercice du tourné-monté. Dans mon travail d’euros portèrent pour Canal +, il fallait toujours que ce soit très propre au montage, que mes plans soient bien « montables », qu’ils correspondent à mon idée pour que la forme que j’ai souhaitée au tournage puisse fonctionner au montage. Il faut pour ça s’impliquer à fond sur le tournage, être très pointilleux sur chaque étape, penser aux illustrations, aux changements de valeurs de plans, au changement de décor. En faisant tout cela, je pense au montage, je commence déjà à construire mon film dans ma tête.